L'expérimentation animale et les cosmétiques en Europe

visibility 1492 Vues comment 0 Commentaires person Par: Sandrine A.

Que dit la législation en 2021?

S'interroger sur l'expérimentation animale dans le secteur de la cosmétique en 2021, est-ce démodé ou bien encore obsolète ? Pour répondre à cette question, analysons tout d'abord la situation. En Europe, les tests sur les animaux sont prohibés depuis 2004 en ce qui concerne les produits finis, les cosmétiques donc, et depuis 2013 concernant les matières premières des cosmétiques, à savoir les ingrédients qui figurent sur la liste INCI. La loi de 2013 a également interdit l’import de cosmétiques étrangers ayant été testés sur les animaux. On voit pourtant encore des mentions de cosmétiques "non testés sur les animaux", "cruelty-free" ou "sans cruauté animale", quelle valeur a aujourd'hui cette affirmation?

En 2019, l'ARPP, l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), a publié la version 8 de ses recommandations pour la publicité et le marketing des cosmétiques, dans laquelle est précisée que « La publicité ne doit comporter aucune mention tendant à faire croire que le produit possède des caractéristiques particulières alors que tous les produits similaires possèdent les mêmes caractéristiques, notamment du fait de la catégorie du produit considéré ou de la simple application de la règlementation en vigueur. ». La vidéo explicative illustre cette prérogative avec les tests sur les animaux, à savoir qu’aucune publicité ne doit faire mention aux tests sur les animaux étant donné qu’aucun cosmétique n’a été testé sur les animaux depuis 2013. C’est pour l’ARPP un argument fallacieux et susceptible de poursuites, confirmé par le Ministère de l’Economie.

Cruelty-free : un argument trompeur ?

Avec 72% d’européen.ne.s étant pour la mise en place en Europe d’une politique de transition vers des tests sans animaux et sans souffrance animale, il est aisé de penser que la notion de « sans cruauté animale » ou « cruelty-free » en anglais est un argument de vente on ne peut plus dans l’air du temps. 

Et il est vrai que beaucoup de marques jouent sur cette notion, en apposant soit une mention écrite soit un petit lapin, symbole de l’expérimentation animale. Pour certains, il ne s’agit que d’un petit plus, mais pour d’autres, il s’agit réellement d’une mention importante, souvent inhérente à la ligne directrice de la marque.

Il est à noter que l’ARPP n’autorise que l’utilisation de labels émanant d’associations de protection animale, comme celui de la Peta ou le Leaping Bunny de l’association CCIC, pour faire mention de la cause animale.

Ces labels, illustrés avec un lapin, sont une preuve que la marque dans son intégralité ne teste pas sur les animaux, ni en Europe (où cela est interdit), ni ailleurs. Pour certaines associations, l’attribution du label passe également par une revue totale des produits, cosmétiques ou non, et de la politique globale en termes d’expérimentation animale de l’entreprise ou du groupe propriétaire de l’entreprise. Ainsi, si une marque appartient à une multinationale qui teste ses produits sur les animaux, le refus de labellisation sera prononcé. 

Les labels sans cruauté connaissent aujourd’hui un réel succès et malheureusement certaines marques, y compris en France, n’hésitent pas à se servir des vectoriels des logos, très facilement trouvables sur Internet, sans pour autant avoir été certifiées par l’association ! Pour s’assurer qu’un label apposé sur un cosmétique est véridique, il faut toujours vérifier les listings de l’association. Il est malheureusement assez courant, et décevant, de voir qu’une marque s’est octroyé un label juste pour « faire bien ». 

On citera par exemple une marque française de déodorants et de baumes qui avait cru bon de mettre le logo de la Peta « cruelty-free & vegan » sans être certifiée (et donc sans payer les droits d’utilisation) alors que ses baumes contenaient de la cire animale, rendant impossible la certification végane et mettant à jour l’usurpation de label. Suite à de nombreuses interrogations, la marque a dans un premier temps expliqué que la certification était en cours avant de revenir en arrière en disant que finalement elle n’avait pas besoin de cette certification…Le green marketing dans toute sa splendeur !

La leçon à retenir est que la présence d’un label sur un cosmétique ne suffit pas à prouver que le cosmétique est cruelty-free et qu’il faut toujours procéder à une double vérification avec les listings des associations. Ce ne sont pas les labels qui sont trompeurs mais les marques qui les utilisent sans vergogne.

Mais s’il n’y a pas de tests en Europe, pourquoi faire autant attention aux labels ?

Pour la bonne et simple raison que l’expérimentation animale en Europe concernant l’industrie de la cosmétique est toujours d’actualité. Certes, les tests sont interdits de manière générale mais une réglementation permet et reconnait le principe d’exception et de dérogation. 

Cette règlementation s’appelle REACH : Registration (Enregistrement), Evaluation and Autorisation of Chemicals (Produits Chimiques), elle s’occupe d’évaluer et d’autoriser l’utilisation de produits chimiques dans l’industrie en général. Sa mission première est de protéger les humains et l’environnement des éléments chimiques transformés. 

Jusqu’ici, tout va bien : « REACH s'applique en principe à toutes les substances chimiques : celles qui sont utilisées, non seulement dans les processus industriels, mais aussi dans notre vie quotidienne, par exemple dans les produits de nettoyage, les peintures ainsi que dans des articles tels que les vêtements, les meubles et les appareils électriques. ». Il est à noter que les cosmétiques ne sont pas cités sur la page d’accueil de REACH

Concernant les cosmétiques, on trouve cette notice : « la réglementation européenne sur les cosmétiques n’a pour but que de protéger les consommateurs et consommatrices. Elle ne protège pas les travailleurs et travailleuses [du secteur des cosmétiques]. Pour être sûr que les travailleurs et travailleuses ne courent aucun risque, REACH demande des données de sûreté concernant les éléments chimiques qu’iels manipulent ». Cette intention louable et nécessaire s’accompagne malheureusement d’un paragraphe qui met à mal la loi de 2013 : 

« Les tests sur les animaux [en cosmétique] sont uniquement nécessaires s'il n'y a pas d'autres moyens de démontrer l'usage sans danger [d'un ingrédient]. La loi exige des entreprises qu'elles utilisent des méthodes autres quand cela est possible - donc les entreprises ne devraient tester sur les animaux qu'en dernière nécessité. ».

REACH autorise bien, par cette mention à l’exception, l’expérimentation animale dans le secteur des cosmétiques.

Les cosmétiques en Europe sont donc testés sur les animaux ?

De manière générale, on peut répondre que non mais REACH permet l’exception. 

Et, soyons clairs, les entreprises de cosmétique qui sont soumises au REACH et qui sont exonérées de la loi de 2013 sont essentiellement les entreprises de cosmétique industrielle. En effet, ce sont elles qui créent, souvent dans un axe purement marketing, de nouvelles substances chimiques à destination de crèmes ou autres. Ces nouvelles substances doivent prouver qu’elles ne présentent pas de danger dans leur usage, sans faire de test sur les animaux puisqu’interdit depuis 2013, mais également dans leur manipulation à visée de production, avec un possible recours à un test sur des êtres vertébrés (projection dans l’œil, vivisection…).

Autrement dit, l’« innovation » dans la cosmétique industrielle est celle à qui s’adresse le protocole REACH. C’est l’innovation qui peut entraîner l’expérimentation animale dans la cosmétique.

Les formules anciennes, même industrielles, ne devraient pas être concernées (bien que le cas Symrise remette en cause cette assertion, cf. infra) et encore moins les cosmétiques bios. Par contre, les cosmétiques naturels, grandes victimes de greenwashing, ne sont pas exempts de l’exceptionnalité REACH.

Les cosmétiques naturels et la Norme ISO 16128

En 2018 est entrée en rigueur la norme ISO 16128. Celle-ci définit deux catégories d’ingrédients, les ingrédients naturels et les ingrédients dérivés de matériaux naturels. Ces derniers doivent contenir plus de 50% d’éléments naturels pour être considérés comme tels. Autrement dit, un ingrédient qui ne contient que 50% d’éléments naturels est considéré comme 100% ingrédient d’origine naturel. On comprend tout de suite pourquoi la mise en place de cette nouvelle norme en 2018 a posé problème, comme l’explique Cosmebio

Ces cosmétiques peuvent afficher en toute légalité le taux d’ingrédients d’origine naturelle selon le mode de calcul de la norme ISO 16128. L’ARPP précise qu’: « Un produit cosmétique ne peut être qualifié dans sa globalité de « naturel » / « d’origine naturelle » que si son contenu naturel / d’origine naturelle, au sens de la norme ISO 16128 ou de tout autre référentiel au moins aussi exigeant, est supérieur ou égal à 95 %. ». On comprend que d’une part un cosmétique qui n’atteint pas le taux de 95% n’a pas le droit de se déclarer « naturel » mais peut tout à fait afficher son taux sur son packaging et que d’autre part un cosmétique qui contient 95% d’ingrédients d’origine naturelle (donc transformés) aura toute légitimité à prétendre au titre de cosmétique naturel. Ainsi naquit en 2018 la légalisation du greenwashing.

Pour revenir à REACH, il faut comprendre qu’un ingrédient d’origine naturelle est un ingrédient industriel qui peut tout à fait relever du principe de sécurité exigé par REACH et, de ce fait, peut être amené à être testé sur un animal.

C’est toute cette réflexion et cette investigation qui permet de répondre au questionnement premier.

Oui, les labels « sans cruauté animale » sont toujours nécessaires. Non, ils ne sont pas obsolètes.

Alors certes, l’expérimentation animale a baissé dans l’industrie cosmétique mais elle existe toujours. Et de ce fait, un label « sans cruauté animale » est toujours d’actualité quand on souhaite être sûr.e de son achat ! Ce n’est pas une concurrence déloyale mais bien une indication de choix et un élément de réassurance pour le consommateur et la consommatrice qui ne souhaite ni participer ni encourager l’expérimentation animale. D’autant plus quand on sait que l’ECHA, l’Agence Européenne de la Chimie qui gère la réglementation REACH, demande à l’Union Européenne des allègements sur l’interdiction des tests sur les animaux en cosmétique.

Une possible reprise des tests sur les animaux en Europe ?

En 2018, l’entreprise allemande Symrise, spécialisée dans la fabrication d’ingrédients cosmétiques industriels, a été intimée par la règlementation REACH de tester deux de ses ingrédients sur des animaux. L’entreprise allemande a refusé et a fait appel auprès de la Cour Européenne de cette décision qui condamnait 5 500 rats, lapins et poissons, sachant que des tests dans le passé avaient déjà été effectués, avec une conclusion de non dangerosité dans le cadre de la production du cosmétique. L’affaire est toujours en cours mais a mis la lumière sur le principe d’exceptionnalité qu’autorise REACH.

De plus, la stratégie adoptée par l’Union Européenne concernant la durabilité dans le domaine des produits chimiques en 2020 relance les débats et les tables rondes concernant les éléments chimiques. Les associations de défense des droits des animaux ont peur que l’ECHA profite de cette occasion pour rediscuter de la mise en application des process de sécurité liée à la manipulation des ingrédients cosmétiques et réviser de fait les restrictions liées à la loi de 2013, alors que des solutions sans cruauté animale existent, comme la création de peau humaine produite en laboratoire, qui est, par ailleurs, beaucoup plus fiable que les tests sur les animaux. 

Agir pour ne pas revenir en arrière

Une des premières actions engageant le tout un chacun est de sélectionner avec soin, intérêt et connaissance de cause ses cosmétiques. Acheter un cosmétique industriel et d’autant plus un cosmétique « innovant » peut signifier que la molécule nouvelle ait été testée par principe de précaution sur des animaux, malgré la loi de 2013 grâce à l’exceptionnalité permise par la réglementation REACH. Une autre action, beaucoup moins tangible mais toute aussi importante, consiste à influencer la politique européenne.

En effet, de par l’ensemble des arguments avancés et l’actualité, une initiative citoyenne européenne a été lancée le 31 août 2021 par les associations de défense des droits des animaux pour demander à la Commission Européenne d’interdire toute expérimentation animale dans le domaine de la cosmétique et empêcher ainsi une possible dérive de la réglementation REACH et un rétropédalage sur la loi de 2013. Trois axes de réflexion sont proposés :

- Garantir et renforcer l’interdiction de l’expérimentation animale pour les cosmétiques;

- Réformer la réglementation de l’UE relative aux produits chimiques;

- Moderniser la science dans l’UE.

Cette initiative est ouverte à l’ensemble des européen.ne.s et demande la signature de 1.000.000 de citoyen.ne.s pour être recevable devant la Commission. Il est important de signifier concrètement que 72% des européen.ne.s sont contre l’expérimentation animale au moyen de la signature de cette initiative. Cela donnera de l’espace aux associations pour défendre ce point de vue partagé par près de 2/3 de la population européenne. On peut aisément à la fois protéger les travailleurs et travailleuses des chaînes de production de l’industrie chimique contre les risques de manipulation des molécules et protéger les animaux de l’expérimentation, les deux combats étant loin d’être incompatible. C’est cette démarche globale et durable qu’entendent aujourd’hui défendre les associations de protection des droits des animaux.

Sources

Règles de déontologie en matière de cosmétiques, V8 de l'ARPP, juillet 2019

Vidéo explicative de déontologie marketing pour les cosmétiques, mai 2019

Communication officielle du Ministère de l’économie concernant l'allégation "non testé sur les animaux", décembre 2018

Sondage ComRes Global sur l'expérimentation animale en Europe, juillet 2020

"Comprendre REACH", site officiel

"Anniversaire de l’interdiction des tests de produits cosmétiques : pourquoi les animaux sont-ils encore utilisés dans des expérimentations ?", Peta, mars 2021

"Régulation des cosmétiques et REACH : questions et réponses sur les tests sur les animaux", site officiel

"Norme ISO 16128 : les premiers produits d'origine naturelle selon la norme sont en rayon", Cosmebio, février 2018

Communiqué de la Peta concernant la demande de tests sur les animaux par l’ECHA à Symrise, août 2021

"Pacte vert: la Commission adopte une nouvelle stratégie dans le domaine des produits chimiques, vers un environnement exempt de substances toxiques", communiqué de presse de la commission européenne, octobre 2020

Objectifs de l'Initiative Citoyenne Européenne, juin 2021

"Pour des cosmétiques sans cruauté - s'engager en faveur d'une Europe sans expérimentation animale", Initiative Citoyenne Européenne, août 2021

"Cosmétiques : ONG et industriels s'opposent à la reprise des tests sur les animaux dans l'UE", Sciences & Avenir, septembre 2021

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